Programme ANR-DFG EPISTOLA «La lettre en péninsule Ibérique et dans l’Occident latin: héritages et transformations d’un genre littéraire (IVe-XIe siècle)»
Poitiers, 5-8 juin 2013.
Colloque organisé par Thomas Deswarte (Université d’Angers) et Klaus Herbers (Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg).
Colloque organisé par Thomas Deswarte (Université d’Angers) et Klaus Herbers (Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg).
Agence Nationale de la Recherche-Deutsche
Forschungsgemeinschaft.
Institutions partenaires: Centre
d'études supérieures de civilisation médiévale (UMR 6589), École des hautes
études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid), Friedrich-Alexander
Universität Erlangen-Nürnberg.
Comité d’organisation: Bruno Dumézil
(Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense), Jacques Elfassi (Université de
Lorraine), Nathanaël Nimmegeers (Casa de Velázquez, Madrid), Cornelia Scherer (Friedrich-Alexander
Universität Erlangen-Nürnberg), Hélène Sirantoine (CESCM, Poitiers).
Résumé
Le développement du christianisme dans l’Occident latin s'accompagne d'un prodigieux essor du genre épistolaire; à la lettre théologique de l’époque apostolique, succède ainsi une correspondance très variée, composée à la fois de missives personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales (transmettant les décisions aux absents) et de lettres pontificales (qui deviennent vite les décrétales). Il nous faut donc bien considérer l’epistola non pas seulement sous un angle purement utilitaire, mais bien comme un fait culturel : elle est le résultat d’un choix littéraire pleinement positif, dont nous étudierons les ressorts. S’il est impossible de dissocier l’analyse de l’énoncé de celle de son énonciation, ce colloque voudrait néanmoins privilégier l’analyse linguistique et stylistique du contenant, avant que ne soit abordés dans de futures rencontres les problèmes liés à la «Tradition, transmission et communication» (Erlangen, 2014) et à «La lettre dans son environnement» (Madrid, 2015).
Le développement du christianisme dans l’Occident latin s'accompagne d'un prodigieux essor du genre épistolaire; à la lettre théologique de l’époque apostolique, succède ainsi une correspondance très variée, composée à la fois de missives personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales (transmettant les décisions aux absents) et de lettres pontificales (qui deviennent vite les décrétales). Il nous faut donc bien considérer l’epistola non pas seulement sous un angle purement utilitaire, mais bien comme un fait culturel : elle est le résultat d’un choix littéraire pleinement positif, dont nous étudierons les ressorts. S’il est impossible de dissocier l’analyse de l’énoncé de celle de son énonciation, ce colloque voudrait néanmoins privilégier l’analyse linguistique et stylistique du contenant, avant que ne soit abordés dans de futures rencontres les problèmes liés à la «Tradition, transmission et communication» (Erlangen, 2014) et à «La lettre dans son environnement» (Madrid, 2015).
Argumentaire
«Quelle douleur! Les chrétiens ont oublié jusqu'à leur langue, et sur mille d'entre nous, vous trouverez à peine un seul qui sache écrire convenablement une lettre latine à un ami. Mais s'il s'agit d'écrire en arabe, vous trouverez une foule de personnes qui s'expriment dans cette langue avec la plus grande élégance, et vous verrez qu'elles composent des poèmes préférables, sous le point de vue de l'art, à ceux des Arabes eux-mêmes». Ainsi s’exprime vers 840 Alvare de Cordoue, confronté à l’acculturation de ses corréligionnaires en al-Andalus. Selon lui, l’abandon du latin au profit de l’arabe s’accompagne de la pratique de la poésie, tandis que l’impossibilité d’écrire des lettres équivaut à l’oubli du latin; bref, sous sa plume, le genre épistolaire est considéré comme caractéristique de la culture latine, comme la poésie l’est de la culture arabe…
Une telle situation dans l’Occident latin ne peut s’expliquer que par le prodigieux essor du genre épistolaire, qui accompagne le développement du christianisme; à la lettre théologique de l’époque apostolique, succède ainsi une correspondance très variée, composée à la fois de missives personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales (transmettant les décisions aux absents) et de lettres pontificales (qui deviennent vite les décrétales). Inutile de préciser que cette diversité hérite elle-même de l’Antiquité classique, pendant laquelle le genre épistolaire était déjà protéiforme: l’epistola – ce «dialogue en absence» – pouvait déjà prendre la forme d’une lettre personnelle, d’une lettre-dédicace, d’une lettre-traité (philosophique ou scientifique) ou d’une lettre-discours (celles d’Isocrate à Demonicus). Il nous faut donc bien considérer l’epistola non pas seulement sous un angle purement utilitaire, mais bien comme un fait culturel: elle est le résultat d’un choix littéraire pleinement positif, dont nous étudierons les ressorts. Bref, s’il est impossible de dissocier l’analyse de l’énoncé de celle de son énonciation, ce premier colloque voudrait néanmoins privilégier l’analyse linguistique et stylistique du contenant, avant que ne soit abordés les problèmes liés à la «Tradition, transmission et communication» (Erlangen, 2014) et à «La lettre dans son environnement» (Madrid, 2015).
La lettre est ainsi tout d’abord le lieu de l’affirmation – au moins formelle – d’une individualité, en un temps où, par ailleurs, l’anonymat est si fréquent dans le domaine de l’historiographie et de l’hagiographie. Qui plus est, entre la fin de l’Antiquité et la rupture grégorienne des années 1100 – qui s’accompagne au sein du monde ecclésiastique d’un nouveau développement des échanges épistolaires, vecteurs privilégiés de la Réforme – la lettre est l’un des rares lieux d’écriture où se manifestent une émotion, un affect, au moyen d’une écriture mimant parfois l’oralité. Il ne faudrait pas pour autant faire de cette lettre «substitut de la personne» et imago animi un miroir parfait, où se liraient directement la subjectivité de l’auteur et l’objectivité des faits. En fait, la lettre est souvent dictée, parfois même rédigée par une autre personne que l’auteur, qui peut constituer un filtre à sa pensée (première session: La lettre, lieu d’une individualité?).
Par ailleurs, même quand la lettre a théoriquement un seul destinataire, elle n’est pas toujours vouée à rester cachée: si les lettres du haut Moyen Âge sont parvenues jusqu’à nous, c'est d'ailleurs, la plupart du temps, parce qu'elles n'étaient pas vraiment secrètes... Mais, précisément, les auteurs de lettres peuvent jouer sur l'ambiguïté privé-public et sur la multiplicité de destinataires potentiels, depuis le destinataire du message jusqu'à l'ensemble du public voire la postérité. Ainsi, la spontanéité cache souvent de redoutables stratégies littéraires – ainsi en était-il déjà des fameuses lettres de Sénèque à Lucilius, écrites comme s’il s’agissait d’une «conversation» et qui ne sont pourtant qu’un prétexte à sa méditation philosophique. Ces stratégies sont d’autant plus variées que ce genre se caractérise par sa grande ductilité, avec des règles de rédaction héritées de l’Antiquité (un formulaire) encore peu contraignantes – avant que les artes dictaminis n’inventent au douzième siècle une norme épistolaire per se. En fait, l’écriture épistolaire possède une puissance stylistique qui lui est propre et dont l’objectif est de transmettre au destinataire une information ou un ordre, de chercher à le convaincre ou bien, tout simplement, de rester en contact avec lui. Pour ce faire, elle utilise des niveaux langagiers fort divers, parfois à l’intérieur d’une même missive, suivant la nature de la correspondance, son destinataire et les sujets abordés. Seront tout particulièrement étudiées les modalités de mise en présence in absentia, ainsi que les spécificités stylistiques et lexicologiques de la lettre, tout particulièrement son vocabulaire performatif (deuxième session : Les stratégies littéraires de l’epistola).
Le succès de ce genre est tel qu’il se diffuse dans la littérature et l’archive. Sa forme ‘contamine’ ainsi d’autres types de documents, en particulier la «lettre doctrinale» (le traité qui se présente comme une lettre) et la lettre «diplomatique» (l’acte qui a forme de lettre). De nombreuses œuvres littéraires s’enrichissent aussi de lettres, dont nous étudierons les modalités d’insertion – suivant qu’elles précèdent le texte principal (lettre dédicatoire), qu’elles s’y intrègrent ou qu’elles le suivent (troisième session: Le genre épistolaire: contours et porosités).
«Quelle douleur! Les chrétiens ont oublié jusqu'à leur langue, et sur mille d'entre nous, vous trouverez à peine un seul qui sache écrire convenablement une lettre latine à un ami. Mais s'il s'agit d'écrire en arabe, vous trouverez une foule de personnes qui s'expriment dans cette langue avec la plus grande élégance, et vous verrez qu'elles composent des poèmes préférables, sous le point de vue de l'art, à ceux des Arabes eux-mêmes». Ainsi s’exprime vers 840 Alvare de Cordoue, confronté à l’acculturation de ses corréligionnaires en al-Andalus. Selon lui, l’abandon du latin au profit de l’arabe s’accompagne de la pratique de la poésie, tandis que l’impossibilité d’écrire des lettres équivaut à l’oubli du latin; bref, sous sa plume, le genre épistolaire est considéré comme caractéristique de la culture latine, comme la poésie l’est de la culture arabe…
Une telle situation dans l’Occident latin ne peut s’expliquer que par le prodigieux essor du genre épistolaire, qui accompagne le développement du christianisme; à la lettre théologique de l’époque apostolique, succède ainsi une correspondance très variée, composée à la fois de missives personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales (transmettant les décisions aux absents) et de lettres pontificales (qui deviennent vite les décrétales). Inutile de préciser que cette diversité hérite elle-même de l’Antiquité classique, pendant laquelle le genre épistolaire était déjà protéiforme: l’epistola – ce «dialogue en absence» – pouvait déjà prendre la forme d’une lettre personnelle, d’une lettre-dédicace, d’une lettre-traité (philosophique ou scientifique) ou d’une lettre-discours (celles d’Isocrate à Demonicus). Il nous faut donc bien considérer l’epistola non pas seulement sous un angle purement utilitaire, mais bien comme un fait culturel: elle est le résultat d’un choix littéraire pleinement positif, dont nous étudierons les ressorts. Bref, s’il est impossible de dissocier l’analyse de l’énoncé de celle de son énonciation, ce premier colloque voudrait néanmoins privilégier l’analyse linguistique et stylistique du contenant, avant que ne soit abordés les problèmes liés à la «Tradition, transmission et communication» (Erlangen, 2014) et à «La lettre dans son environnement» (Madrid, 2015).
La lettre est ainsi tout d’abord le lieu de l’affirmation – au moins formelle – d’une individualité, en un temps où, par ailleurs, l’anonymat est si fréquent dans le domaine de l’historiographie et de l’hagiographie. Qui plus est, entre la fin de l’Antiquité et la rupture grégorienne des années 1100 – qui s’accompagne au sein du monde ecclésiastique d’un nouveau développement des échanges épistolaires, vecteurs privilégiés de la Réforme – la lettre est l’un des rares lieux d’écriture où se manifestent une émotion, un affect, au moyen d’une écriture mimant parfois l’oralité. Il ne faudrait pas pour autant faire de cette lettre «substitut de la personne» et imago animi un miroir parfait, où se liraient directement la subjectivité de l’auteur et l’objectivité des faits. En fait, la lettre est souvent dictée, parfois même rédigée par une autre personne que l’auteur, qui peut constituer un filtre à sa pensée (première session: La lettre, lieu d’une individualité?).
Par ailleurs, même quand la lettre a théoriquement un seul destinataire, elle n’est pas toujours vouée à rester cachée: si les lettres du haut Moyen Âge sont parvenues jusqu’à nous, c'est d'ailleurs, la plupart du temps, parce qu'elles n'étaient pas vraiment secrètes... Mais, précisément, les auteurs de lettres peuvent jouer sur l'ambiguïté privé-public et sur la multiplicité de destinataires potentiels, depuis le destinataire du message jusqu'à l'ensemble du public voire la postérité. Ainsi, la spontanéité cache souvent de redoutables stratégies littéraires – ainsi en était-il déjà des fameuses lettres de Sénèque à Lucilius, écrites comme s’il s’agissait d’une «conversation» et qui ne sont pourtant qu’un prétexte à sa méditation philosophique. Ces stratégies sont d’autant plus variées que ce genre se caractérise par sa grande ductilité, avec des règles de rédaction héritées de l’Antiquité (un formulaire) encore peu contraignantes – avant que les artes dictaminis n’inventent au douzième siècle une norme épistolaire per se. En fait, l’écriture épistolaire possède une puissance stylistique qui lui est propre et dont l’objectif est de transmettre au destinataire une information ou un ordre, de chercher à le convaincre ou bien, tout simplement, de rester en contact avec lui. Pour ce faire, elle utilise des niveaux langagiers fort divers, parfois à l’intérieur d’une même missive, suivant la nature de la correspondance, son destinataire et les sujets abordés. Seront tout particulièrement étudiées les modalités de mise en présence in absentia, ainsi que les spécificités stylistiques et lexicologiques de la lettre, tout particulièrement son vocabulaire performatif (deuxième session : Les stratégies littéraires de l’epistola).
Le succès de ce genre est tel qu’il se diffuse dans la littérature et l’archive. Sa forme ‘contamine’ ainsi d’autres types de documents, en particulier la «lettre doctrinale» (le traité qui se présente comme une lettre) et la lettre «diplomatique» (l’acte qui a forme de lettre). De nombreuses œuvres littéraires s’enrichissent aussi de lettres, dont nous étudierons les modalités d’insertion – suivant qu’elles précèdent le texte principal (lettre dédicatoire), qu’elles s’y intrègrent ou qu’elles le suivent (troisième session: Le genre épistolaire: contours et porosités).
Conditions de soumission
Les propositions de communication (600 mots
max. – temps de parole: 30mn) seront adressées à Hélène Sirantoine avant le 31 octobre
2012.
Organisation des séances et liste non exhaustive des thématiques pouvant être abordées:1. La lettre, lieu d’une individualité ?
Qui écrit ?
L’authentification de la lettre
Spontanéité et niveaux langagiers
Lettre et affect
Un « substitut de la personne » ?
2. Les stratégies
littéraires de l’epistola
La normativité épistolaireEcrire pour informer
Ecrire pour commander
Ecrire pour enseigner
Ecrire pour ‘exister’
3. Le genre
épistolaire : contours et porosités
Lettre et diplomatique ; rescripts et
décrétalesLettre et historiographie
La lettre-traité
La lettre dédicatoire
Source: Programme ANR-DFG EPISTOLA
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