«Ecriture
et genre épistolaires (IVe-XIe s.)»
Poitiers, 5-8 juin 2013
Colloque
organisé par Thomas Deswarte et Klaus Herbers
Agence Nationale de la Recherche-Deutsche
Forschungsgemeinschaft
Programme ANR-DFG
EPISTOLA: «La lettre en péninsule Ibérique et dans l’Occident latin:
héritages et transformations d’un genre littéraire (IVe-XIe siècles)».
Institutions
partenaires: Centre d'études supérieures de civilisation médiévale (UMR
6589), École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez,
Madrid), Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg.
Comité
d’organisation: Bruno Dumézil, Jacques Elfassi, Nathanaël Nimmegeers,
Cornelia Scherer, Hélène Sirantoine.
* Appel à communication *
«Quelle douleur! Les chrétiens ont
oublié jusqu'à leur langue, et sur mille d'entre nous, vous trouverez à peine
un seul qui sache écrire convenablement une lettre latine à un ami. Mais s'il
s'agit d'écrire en arabe, vous trouverez une foule de personnes qui s'expriment
dans cette langue avec la plus grande élégance, et vous verrez qu'elles
composent des poèmes préférables, sous le point de vue de l'art, à ceux des Arabes
eux-mêmes». Ainsi s’exprime vers 840 Alvare de Cordoue, confronté à l’acculturation
de ses corréligionnaires en al-Andalus. Selon lui, l’abandon du latin au profit
de l’arabe s’accompagne de la pratique de la poésie, tandis que l’impossibilité
d’écrire des lettres équivaut à l’oubli du latin; bref, sous sa plume, le
genre épistolaire est considéré comme caractéristique de la culture latine,
comme la poésie l’est de la culture arabe…
Une telle situation dans l’Occident latin ne
peut s’expliquer que par le prodigieux essor du genre épistolaire, qui accompagne
le développement du christianisme; à la lettre théologique de l’époque
apostolique, succède ainsi une correspondance très variée, composée à la fois
de missives personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales
(transmettant les décisions aux absents) et de lettres pontificales (qui
deviennent vite les décrétales). Inutile de préciser que cette diversité hérite
elle-même de l’Antiquité classique, pendant laquelle le genre épistolaire était
déjà protéiforme: l’epistola – ce «dialogue en
absence» – pouvait déjà prendre la forme d’une lettre personnelle, d’une
lettre-dédicace, d’une lettre-traité (philosophique ou scientifique) ou d’une
lettre-discours (celles d’Isocrate à Demonicus). Il nous faut donc bien
considérer l’epistola non pas seulement sous un angle purement
utilitaire, mais bien comme un fait culturel: elle est le résultat d’un
choix littéraire pleinement positif, dont nous étudierons les ressorts. Bref,
s’il est impossible de dissocier l’analyse de l’énoncé de celle de son
énonciation, ce premier colloque voudrait néanmoins privilégier l’analyse
linguistique et stylistique du contenant, avant que ne soit abordés les
problèmes liés à la «Tradition, transmission et communication»
(Erlangen, 2014) et à «La lettre dans son environnement» (Madrid,
2015).
La lettre est ainsi tout d’abord le lieu de l’affirmation
– au moins formelle – d’une individualité, en un temps où, par ailleurs, l’anonymat
est si fréquent dans le domaine de l’historiographie et de l’hagiographie. Qui
plus est, entre la fin de l’Antiquité et la rupture grégorienne des années 1100
– qui s’accompagne au sein du monde ecclésiastique d’un nouveau développement
des échanges épistolaires, vecteurs privilégiés de la Réforme – la lettre est
l’un des rares lieux d’écriture où se manifestent une émotion, un affect, au
moyen d’une écriture mimant parfois l’oralité. Il ne faudrait pas pour autant
faire de cette lettre «substitut de la personne» et imago animi
un miroir parfait, où se liraient directement la subjectivité de l’auteur et l’objectivité
des faits. En fait, la lettre est souvent dictée, parfois même rédigée par une
autre personne que l’auteur, qui peut constituer un filtre à sa pensée
(première session: La lettre, lieu d’une individualité?).
Par ailleurs, même quand la lettre a
théoriquement un seul destinataire, elle n’est pas toujours vouée à rester
cachée: si les lettres du haut Moyen Âge sont parvenues jusqu’à nous, c'est
d'ailleurs, la plupart du temps, parce qu'elles n'étaient pas vraiment
secrètes... Mais, précisément, les auteurs de lettres peuvent jouer sur
l'ambiguïté privé-public et sur la multiplicité de destinataires potentiels,
depuis le destinataire du message jusqu'à l'ensemble du public voire la
postérité. Ainsi, la spontanéité cache souvent de redoutables stratégies
littéraires – ainsi en était-il déjà des fameuses lettres de Sénèque à
Lucilius, écrites comme s’il s’agissait d’une «conversation» et qui
ne sont pourtant qu’un prétexte à sa méditation philosophique. Ces stratégies
sont d’autant plus variées que ce genre se caractérise par sa grande ductilité,
avec des règles de rédaction héritées de l’Antiquité (un formulaire) encore peu
contraignantes – avant que les artes dictaminis n’inventent au douzième
siècle une norme épistolaire per se. En fait, l’écriture épistolaire
possède une puissance stylistique qui lui est propre et dont l’objectif est de
transmettre au destinataire une information ou un ordre, de chercher à le convaincre
ou bien, tout simplement, de rester en contact avec lui. Pour ce faire, elle utilise
des niveaux langagiers fort divers, parfois à l’intérieur d’une même missive,
suivant la nature de la correspondance, son destinataire et les sujets abordés.
Seront tout particulièrement étudiées les modalités de mise en présence in
absentia, ainsi que les spécificités stylistiques et lexicologiques de la
lettre, tout particulièrement son vocabulaire performatif (deuxième
session: Les stratégies littéraires de l’epistola).
Le succès de ce genre est tel qu’il se diffuse
dans la littérature et l’archive. Sa forme ‘contamine’ ainsi d’autres types de
documents, en particulier la «lettre doctrinale» (le traité qui se
présente comme une lettre) et la lettre «diplomatique» (l’acte qui
a forme de lettre). De nombreuses œuvres littéraires s’enrichissent aussi de
lettres, dont nous étudierons les modalités d’insertion – suivant qu’elles
précèdent le texte principal (lettre dédicatoire), qu’elles s’y intrègrent ou
qu’elles le suivent (troisième session: Le genre épistolaire:
contours et porosités).
Les propositions de communication seront
adressées à Hélène Sirantoine avant le 1er octobre 2012.
Organisation des séances
1. La lettre, lieu d’une individualité ?
Qui écrit ?
L’authentification de la lettre
Spontanéité et niveaux langagiers
Lettre et affect
Un « substitut de la personne » ?
2. Les stratégies littéraires de l’epistola
La normativité épistolaire
Ecrire pour informer
Ecrire pour commander
Ecrire pour enseigner
Ecrire pour ‘exister’
3. Le genre épistolaire : contours et
porosités
Lettre et diplomatique ; rescripts et
décrétales
Lettre et historiographie
La lettre-traité
La lettre dédicatoire
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